Les marchands d’estampes

Continuons notre tour d’horizon du marché de l’estampe en nous intéressant aux marchands d’estampes en France. Qui sont-ils, et comment voient-ils ce marché ?

Dans la première partie de ce dossier, nous avions constaté que l’estampe est un petit marché, plutôt stagnant malgré un regain de dynamisme ces dernières années. Ces tendances provenaient de l’observation des données de ventes aux enchères, et méritaient d’être complétées par la synthèse du sentiment des marchands d’estampe.

L’ambition du présent article est d’analyser quelques pratiques de marchands, afin de comprendre les initiatives qui donnent une raison d’être optimiste sur le futur de ce sous-marché, malgré, nous le verrons, un sentiment d’inquiétude affiché.

Cet article se propose d’abord de dimensionner le tissu des marchands d’estampe en France, puis d’évoquer les résultats d’une enquête auprès des marchands français réalisée par Claire Gauzente. Nous présenterons ensuite quelques initiatives de professionnels et d’institutions qui œuvrent pour dynamiser le secteur.

Panorama de la vente d’estampe

Démarrons par un bref panorama de la vente d’estampe dans le monde. On va se demander combien de marchands d’estampe existent, et quelles sont les spécialités les plus représentées. On évoquera ensuite rapidement les canaux de vente privilégiés, et le cadre sera ainsi posé.

La chambre syndicale des marchands d’estampes (la CSEDT) regroupe une cinquantaine de marchands d’estampes français et européens. On peut mettre en regard ce chiffre avec les 150 adhérents à l’assocation des marchands d’estampes internationaux (l’IFPDA).

Disons-le tout de suite, le secteur de l’estampe est relativement petit, comparé au marché de l’art global. Il existe par exemple 2200 galeries en France pour l’art contemporain uniquement.

La Chambre Syndicale de l’Estampe

La Chambre Syndicale de l’Estampe, du Dessin et du Tableau s’est constituée en 1919 comme syndicat professionnel, avec l’objectif de défendre les intérêts des marchands et experts de l’estampe en particulier. Elle fédère une cinquantaine de marchands européens et internationaux.

Parmi ses réalisations récentes, elle est notamment intervenue auprès de la commission européenne pour obtenir une réduction du taux de la TVA applicable aux œuvres d’art. Elle a aussi produit une charte de l’estampe dite “originale”, permettant de créer les conditions de confiance nécessaires pour ce marché. Par ailleurs, la CESDT a rédigé/constribué à rédiger la convention collective des galeries d’art. Elle se donne aussi pour mission d’animer le secteur, avec entre autres l’organisation du salon Paris Print Fair.

Pour autant, toutes les galeries n’adhèrent pas aux associations de professionnels, et il existe une pléthore de structures qui commercialisent des estampes sur le premier marché sans en faire leur spécialité. On pense aux vendeurs et éditeurs d’estampes contemporaines, de street art ou de bande-dessinée, qui diffusent des estampes en parallèle d’œuvres uniques.

Les dénombrer ne serait pas pertinent. Pour le moment, observons simplement que les marchands d’estampes sont en nombre restreint. Intéressons-nous plutôt à ce qu’ils vendent. Sur les 150 membres de l’IFPDA – l’association internationale des marchands d’estampe – 24 galeries vendent de l’art ancien, 77 galeries de l’art moderne, et 106 galeries de l’art contemporain. Cette répartition suit fidèlement le marché de l’art global. Notons que la catégorie “estampes japonaises” a été créée à part, peut-être par souhait de développer ce segment, qui est réputé attirer les jeunes collectionneurs.

Parmi les canaux de vente privilégiés de ces galeries, la vente physique est toujours la plus représentée, surtout dans l’estampe ancienne, où le public exprime la nécessité de consulter les œuvres sur place et d’entretenir des liens avec le galeriste-prescripteur. La vente sur catalogue a toujours court régulièrement dans le secteur de la bibliophilie et de l’estampe ancienne.

Même si les places y sont chères, les marchands les plus argentés participent à des foires, qui sont un des canaux de vente privilégiés du marché de l’art. Citons la foire de l’IFPDA Print Fair à New-York, la London Print Fair et, plus proche de nous, le nouveau salon Paris Print Fair.

Le salon Paris Print Fair

Le Paris Print Fair est le nouveau salon consacré à toutes les formes d’estampe. Sa deuxième édition a eu lieu en mars 2023, durant la semaine du dessin à Paris, idéalement situé dans le réfectoire du Couvent des cordeliers. Le Paris Print Fair accueille 20 galeries internationales, et propose une grande diversité d’estampes du XVème siècles à nos jours. Le salon ambitionne d’être le plus éclectique d’Europe, au contraire par exemple du London Original Print Fair qui se concentre sur l’estampe contemporaine. Et le succès est au rendez-vous, avec une très bonne couverture médatique et plusieurs milliers d’entrées sur les quatre jours du salon.

Au-delà de la présence physique, les maisons de ventes aux enchères et les galeries spécialisées ont peu à peu investi le commerce en ligne, à la faveur de la digitalisation des échanges commerciaux et des nouveaux comportements d’achat. Selon une étude portant sur les arts africains classiques, 72% des collectionneurs avaient réalisé un achat d’œuvre d’art en ligne en 2022, sans consulter l’œuvre avant de passer à l’achat (on parle d’œuvres coûtant moins de 5000€).

En France, les galeries en ligne d’estampes les plus anciennes et expérimentées sont Le Coin des Arts, la galerie Michelle Champetier (présent en ligne depuis 2003) et Place des arts (fondée en 1997). De nombreuses galeries, qui n’ont pas la possibilité de développer un espace e-commerce, commercialisent leurs œuvres via des plateformes comme Amorosart ou Artprice. Enfin, Ebay reste bien sûr une grande plateforme d’échange pour les œuvres inférieures à 500€.

Un marché stable mais des professionnels pessimistes

En 2013, Claire Gauzente, professeure des Universités en économie et management, s’est entretenue avec une trentaine de professionnels de l’estampe contemporaine, dont plusieurs galeristes. Son étude a fait émerger le paradoxe suivant : les professionnels posent un regard pessimiste sur ce marché, alors que l’estampe a le vent en poupe aux enchères, et que, selon la chercheuse, l’environnement est propice au développement du marché grâce à une création artistique dynamique, une implication institutionnelle et plusieurs manifestations importantes autour de l’estampe.

Certains galeristes estiment qu’il n’y a pas de marché de l’estampe en France, et les marchands ont des difficultés à renouveler leur clientèle et à se maintenir à flot – bien qu’il n’y ait pas de faillite à déplorer durant la dernière décennie. Entre autres raisons de ce pessimisme affiché, la place que l’estampe occupe parmi les autres médiums. Elle a bien sûr des affinités avec le livre rare et le dessin, qui la desservent parfois (l’estampe étant perçue comme moins importante que le dessin, ou confondu avec lui). Ensuite, l’estampe est clairement subordonnée à la peinture, comme le montrent les résultats de cette catégorie aux enchères (voir cet article). Enfin, la photographie, qui a connu un boom depuis les années 1980 dans les institutions, fait concurrence à l’estampe.

Parmi les autres freins identifiés par les marchands, on peut évoquer la nécessité de former leur clientèle aux techniques de l’estampe (Comment est fabriquée une gravure ? Que signifie la numérotation ?), ainsi que les problématiques liées aux concepts d’originalité (Est-ce qu’une estampe est une reproduction ? A-t-elle de la valeur en tant qu’œuvre originale ?)

En tous cas, les marchands ont le sentiment que ce segment de marché ne grossit pas, et qu’il est difficile d’intéresser une nouvelle génération d’amateurs à ces techniques complexes. Pour comprendre si cette perception se traduit en performances commerciales, il serait pertinent d’analyser les chiffres de ventes des marchands, qui ne sont pas facilement disponibles.

Les marchands d’estampe dynamisent le secteur

Pour autant, on observe un dynamisme important des professionnels du secteur, qui défendent ce medium et œuvrent à le valoriser auprès du public, notamment en organisant et en participant à des foires et salons. Citons, à Paris, le “Salon International du livre rare & des arts graphiques” ainsi que le Paris Print Fair, spécialisé dans l’estampe.

Les galeries d’estampes représentent le canal de vente le plus important. Elles jouent un rôle considérable auprès du public pour rendre l’estampe accessible, avec un maillage du territoire et des possibilités de vente par correspondance développées. Les galeristes sont passionnés et font beaucoup de pédagogie autour des techniques de l’estampe. Enfin, ils participent à installer la confiance sur ce marché, en augmentant l’expertise et la compréhension de ce medium, à travers des institutions comme la CSEDT.

J’ai eu la chance de rencontrer deux galeristes d’estampe au Paris Print Fair 2023. Nous avons discuté de leurs activités et de leur vision du marché de l’estampe. Voyons les efforts qu’ils mettent en œuvre pour contribuer à valoriser ce médium.

Le Coin des Arts

J’ai dédié un portrait à Thaddée Poliakoff et sa galerie le Coin des Arts, qui œuvre au quotidien pour diffuser l’estampe moderne. M. Poliakoff a souvent innové, pour “pousser les murs” d’une des plus petites galeries de la capitale, en ouvrant un deuxième espace dans le Marais, et un site de vente en ligne. Il affiche une volonté de vendre au juste prix, et l’élitisme n’a pas sa place à la galerie. L’objectif affiché est de rendre l’estampe accessible au plus grand nombre, et la portée de la vente en ligne permet de capter le dynamisme récent de ce canal de vente.

Thaddée Poliakoff ajuste la présentation au Paris Print Fair (📷 INU Studio)

La galerie Christian Collin

Christian Collin est un hyperactif. Il a installé sa galerie spécialisée en 2005, préside la chambre syndicale regroupant les marchands d’estampe (la CSEDT) depuis 2017, et a participé à la création du salon Paris Print Fair en 2019. Il est donc bien placé pour prendre le pouls du marché.

M. Collin considère que le marché s’est stabilisé, et que le nombre de collectionneurs et de marchands n’a pas tendance à augmenter. Il constate lui aussi les difficultés pour les galeristes à faire grossir leur clientèle, dans un contexte de concurrence avec les maisons de vente aux enchères, qui organisent régulièrement des ventes spécialisées.

Au passage, le galeriste avertit sur le manque d’expertises de certains acteurs, ce qui doit inciter le collectionneur averti à bien sélectionner ses sources d’approvisionnement. Autre difficulté, le sourcing des pièces, surtout dans l’estampe ancienne, où la quantité d’œuvres disponibles s’amenuise.

Le galeriste prévoit que la stabilité va perdurer, ce qui, selon lui, et si l’on veut voir le verre à moitié plein, protège le milieu de l’estampe des dérives mercantiles du marché de l’art contemporain.

J’ai été ravi de constater la passion de Christian Collin pour ce medium et sa mobilisation pour le défendre au travers des actions de la CSEDT. Pour aller plus loin, M. Collin a récemment accordé aux Nouvelles de l’estampe une interview très complète.

L’estampe est un exercice d’humilité

Nous l’avons vu, le secteur de l’estampe est relativement petit, avec 150 galeries adhérentes à l’association internationale des marchands d’estampe, contre 2200 galeries d’art contemporain en France uniquement.

Certains marchands français, avec d’autres professionnels du secteur, sont pessimistes en observant un marché stagnant, avec peu de nouveaux entrants du côté des collectionneurs ou des marchands. Ils font part de plusieurs freins, et d’abord la subordination de l’estampe avec la peinture, et sa concurrence avec la photographie. La complexité des techniques de l’estampe et de la notion d’œuvre “originale”, qui demande la maîtrise de la justification (numérotation et signature) demandent d’éduquer le public ou de s’adresser à des collectionneurs avertis.

Pour autant, nous observons que le secteur est dynamisé par des marchands qui ne perdent pas espoir. Certains déplacent leur activité traditionnelle sur internet, quand d’autres se fédèrent pour organiser des manifestations autour de la vente d’estampe ou de sa médiation. Ces expériences mériteraient d’être analysées plus avant afin d’en tirer des bonnes pratiques qui bénéficieraient à tout le secteur.

Même si le commerce de l’estampe est “un exercice d’humilité” selon Christian Collin, il y a des raisons d’être optimiste quant à la diffusion de l’estampe.

Sources

  • Bertrand, Luc. Entretiens avec Thaddée Poliakoff et Christian Collin au Paris Print Fair 2023.
  • Chicha-Castex, Céline. « Entretien avec Christian Collin, marchand d’estampes et président de Chambre syndicale de l’estampe, du dessin et du tableau (CSEDT) ». Nouvelles de l’estampe, nᵒ 268, 268, novembre 2022.
  • Gauzente, Claire. « Valeur(s) de l’estampe contemporaine en France ». Nouvelles de l’estampe, nᵒ 261, 261, janvier 2018, p. 80‑92.
  • Poulard, Frédéric. « Marchands d’estampes à Paris : statuts et jugement esthétique: » Ethnologie française, vol. Vol. 35, nᵒ 1, mars 2005, p. 73‑80.

Tour d’horizon du marché de l’estampe

(Cet article a été publié en anglais sur artmarketstudies.org)

Obtenir une image fidèle du marché de l’estampe n’est pas chose aisée. En effet, ce marché ne génère pas des sommes colossales, à l’inverse des ventes millionnaires de peintures.

Très petit marché, l’estampe apparait sous-valorisée en France, alors que ce medium dispose d’un potentiel de développement important, et présente un regain de dynamisme ces dernières années, notamment boosté par les ventes en ligne.

Nous appellons “estampe” toute œuvre d’art multiple et pourtant originale telles que la gravure, la lithographie ou la sérigraphie. Les estampes sont la plupart du temps imprimées sur papier, réalisées par des artistes de toutes époques. Elles forment une catégorie à part au sein des mediums d’art et du marché de l’art, qui permet de rendre l’art accessible à tous.

Voici donc un dossier sur le marché de l’estampe, marché qui mérite d’être mis en lumière, et dont la compréhension partagée bénéficierait au développement du secteur.

Ce dossier est organisé en quatre parties. La première – cet article – se propose de périmetrer ce marché en évoquant quelques chiffres de performances clés. Les parties suivantes s’intéresseront aux marchands, aux collectionneurs et enfin aux freins et opportunités de ce marché. Il sera alors temps de proposer des recommandations pour faire croître ce petit marché à fort potentiel.

Ce que nous apprennent les ventes publiques

Débutons ce tour d’horizon du marché de l’estampe par l’observation de deux graphiques-clés, permettant d’illustrer les performances de l’estampe dans les ventes aux enchères, et de comparer ces performances avec d’autres mediums comme la peinture ou le dessin.

On va d’abord s’intéresser au produit des ventes, puis au volume de lots vendus. On utilise à cette fin les données des ventes aux enchères publiques, qui forment la matière des rapports annuels sur le marché de l’art.

L’estampe pèse 4% des ventes aux enchères

En 2021, l’estampe pesait seulement 4% du produit total des ventes aux enchères (en 2021). A titre de comparaison, la peinture représentait 65% du total.

Voici la répartition du produit des ventes aux enchères, par medium :

Source : Artprice

En valeur absolue, l’estampe représente 529 millions de dollars, contre 9.5 Mrds pour les peintures, qui reste la catégorie reine des ventes. On constate que l’estampe ne fait pas le poids par rapport aux peintures et aux dessins, mais qu’elle génère tout de même plus de valeur que la photographie. Le marché de la photographie, qui s’est largement développé depuis les années 90, est bien plus médiatisé que celui de l’estampe, et pourtant il génère moins de chiffres d’affaires aux enchères que l’estampe.

En 2021, on dénombrait seulement 21 estampes millionnaires, contre plus de 1000 peintures, dont le segment très haut de gamme est bien plus développé. Au-delà des records, la majorité des estampes sont vendues à moins de 500€, ce qui en fait un medium très accessible.

On vend deux fois plus de peintures que d’estampes

L’estampe représente 22% des lots vendus aux enchères (contre le double de peintures), ce qui semble peu par rapport au prix bas de ce medium et à son attractivité. On sait que l’estampe est accessible et attire les nouveaux entrants sur le marché de l’art. On peut donc y déceler une marge de progression.

Voici la répartition des lots vendus, par medium :

Le nombre d’estampes vendues est similaire au nombre de dessins, et deux fois moins important que les peintures. L’estampe dépasse encore la photographie en nombre de lots vendus.

Que l’on s’intéresse aux nombres de lots vendus ou au chiffre d’affaire, on constate donc que la catégorie “estampe” est aujourd’hui un petit sous-marché.

A l’aube d’un regain ?

Le chiffre de “4% des ventes” revient régulièrement pour caractériser le marché de l’estampe – faute de mieux. Il désigne une faible proportion du marché de l’art global, qui peut laisser croire que le marché de l’estampe subit une stagnation ces dernières années.

Pourtant, si l’on regarde ce phénomène en valeur absolue, on constate que le produit des estampes a atteint le record de 529M$ en 2021. Une progression non négligable à l’intérieur d’un marché de l’art qui, lui, a stagné ces dix dernières années. L’estampe a donc commencé à prendre des parts de marché aux autres mediums.

Ce dynamisme s’affiche encore plus fortement ces trois dernières années. A coutre-courant des autres mediums, l’estampe a été particulièrement performante durant la pandémie, sûrement dopée par les ventes en ligne. Actuellement, ce medium bat son record de vente chaque année (en valeur et en nombre). Il y a donc de quoi se réjouir !

Alors, est-on à l’aube d’un regain espéré pour l’estampe ? Pour s’en convaincre, il faudra confirmer cette tendance à la croissance, et l’installation dans la durée de nouveaux canaux de vente.

Marché primaire, marché secondaire

Un petit détour méthodologique s’impose pour contextualiser les données de cet article. Nous avons présenté des données provenant des maisons de ventes publiques, mais ces données sont-elles représentatives de la totalité du marché ?

Pour le savoir, nous devons d’abord présenter les différents modes de transaction sur le marché de l’art. Les ventes aux enchères font partie du marché secondaire, au même titre que les ventes directes entre particuliers. Il s’agit des œuvres d’art de “seconde main”, qui ont déjà été vendues sur le marché primaire. Celui-ci regroupe les ventes par les galeries, et les ventes des artistes en direct.

Revenons à notre question de méthode : peut-on se satisfaire de l’observation des ventes aux enchères ?
Le rapport Art Basel/UBS portant sur l’année 2021 indique que 6% du produit des ventes des galeries concernaient les estampes et multiples, ce qui corrobore le chiffre de 4% provenant des ventes aux enchères. On peut donc considérer que pour l’année 2021, les ventes aux enchères ont été représentatives du marché de l’estampe.

Pour autant, bien que les résultats de ventes aux enchères sont accessibles (quoique mis à disposition par des acteurs privés – Artprice en tête), on ne peut se satisfaire d’un proxy, et il faudrait agréger les chiffres de vente des galeries spécialisées, et les transactions directes, pour avoir une vue complète du marché.

Cela ne pourrait se faire sans difficulté, car cette partie du marché est opaque. Le marché primaire est dans la main de multiples acteurs privés dispersés, et parfois concurrents. Le marché secondaire, au-delà des ventes publiques, se fait en direct entre collectionneurs favorisant la discrétion.

Resituer l’estampe dans le marché de l’art global

Après ce détour méthodologique, prenons un peu de recul pour resituer le sous-marché de l’estampe dans le marché de l’art global. Régulièrement commentés, les résultats du marché de l’art sont facilement disponibles. Les deux rapports qui font autorité sont ceux d’Artprice et d’Artbasel/UBS. Ils proposent une analyse macro du marché de l’art, que nous allons tenter de compléter par des éléments concernant le sous-marché de l’estampe.

  • Le marché de l’art global a généré environ 68 Mrds$ de chiffre d’affaire annuel dans le monde en 2022 (ce qui constitue une de ses meilleurs années), selon le rapport Art Basel/UBS. C’est un marché environ 5 fois plus petit que celui du luxe, pour prendre un comparable. A titre de comparaison, l’estampe n’a généré que 500M$ aux enchères en 2021.
  • Les œuvres d’art sont vendues en majorité par les galeries (37Mrds$), puis par les maisons de ventes aux enchères (31Mrds$).
  • En volume, 37 millions d’œuvres d’art ont été vendues en 2022 – dont environ 20% par la voie des enchères. On a vendu 143 000 estampes aux enchères en 2021.
  • Les places de marché les plus importantes restent stables dans le temps, avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Chine en tête. La France et l’Allemagne sont régulièrement en quatrième et cinquième positions. Il n’existe pas à ce sujet de données propres à l’estampe.
  • Les ventes d’œuvres Post-war & contemporain sont majoritaires. Viennent ensuite les œuvres modernes et impressionnistes, et l’art ancien. Les ventes d’art contemporain augmentent chaque année, alors que les autres segments diminuent ou stagnent. L’estampe semble suivre ce schéma, avec Picasso, Hockney et Warhol parmi les ventes millionnaires, et un segment Pop art particulièrement lucratif, qui a tendance à masquer le reste du marché. Depuis peu sont consacrées des ventes entières à un seul artiste, et même à un seul graveur (citons la vente annuelle Hockney chez Philips).
  • La vente en ligne a explosé depuis 3 ans, et atteint à présent la même proportion que dans les autres secteurs du commerce de détail. Autrement dit, on vend à présent autant d’œuvres d’art en ligne que de livres ou de matériel électronique. L’estampe semble pionnière dans la vente en ligne, et comme nous le verrons dans un autre article, les collectionneurs ont changé d’habitude et sont maintenant prêts à acheter sur internet sans voir les œuvres. Ce phénomène bouscule le marché de l’estampe, et offre un potentiel de croissance pour les années à venir.

Cette contextualisation rapide permet de mettre en perspective les rares données du marché de l’estampe, et montre quelles informations une étude sur le sous-marché de l’estampe pourrait fournir au secteur. Notamment, il serait intéressant de comprendre la répartition des ventes par medium (lithographie, gravure…), périodes et courants de l’histoire de l’art, afin d’analyser les performances par segment, voire par artiste.

Pour conclure ce tour d’horizon

Ce tour d’horizon nous a d’abord appris que l’estampe est un très petit marché, en comparaison avec la peinture et même le dessin.

Le marché de l’estampe n’a pas été très dynamique depuis les années 2000, et nous verrons dans un prochain article (à venir) que les marchands d’estampes ne sont pas vraiment optimistes quant à son développement. Pour autant, les ventes aux enchères d’estampes ont doublé en 10 ans, et les trois dernières années battent des records.

Ce constat provient de l’observation des ventes aux enchères, et non de la totalité des marchés primaires et secondaires. Il est actuellement impossible d’obtenir une image complète du marché de l’estampe, et dans un marché de connaisseurs, cette situation demanderait à être corrigée.

Enfin, le marché de l’estampe peut être qualifié d’efficient, puisque les résultats de ventes répétés sont facilement disponibles, de par la nature multiple de ce medium – à l’inverse des peintures, qui sont uniques. Cette caractéristique de l’estampe nous amène à penser que l’analyse systématique de ses ventes pourrait bénéficier au secteur.

Ce tour d’horizon pointe donc des manques, et mérite d’être complété par des recherches complémentaires. La suite de ce dossier nous permettra de mettre en perspective les données présentées, en s’intéressant aux marchands d’estampes, aux collectionneurs, et enfin en analysant les freins et leviers de ce marché, dans l’espoir de formuler des recommandations pour le secteur.

Sources

  • Artprice. Le marché de l’art en 2022 (& 2023).
  • Clare Mc Andrew. Art Basel and UBS Art Market Report 2022 (& 2023).
  • Pesando, James E., et Pauline M. Shum. « The auction market for modern prints: Confirmations, contradictions, and new puzzles ». Economic Inquiry, vol. 46, nᵒ 2, avril 2008, p. 149‑59.

Luc Bertrand, septembre 2023.

Thaddée Poliakoff, passeur d’estampes

C’est au Paris Print Fair que je rencontre Thaddée Poliakoff. Un nom qui résonne pour tout amateur d’art moderne et d’estampes. En effet, Thaddée Poliakoff a fondé la galerie Le Coin des arts, et dirige notamment l’estate Poliakoff.

Nous trouvons une petite place entre deux stands, et je lance l’enregistrement. Très vite, je suis porté par son enthousiasme et sa générosité. Il me parle de sa galerie, du métier de marchand d’art et de sa passion toujours renouvelée pour l’art moderne. Portrait d’un passeur d’estampes.

Thaddée Poliakoff ajuste la présentation au Paris Print Fair (📷 INU Studio)

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Tout savoir sur la signature d’une œuvre d’art

Dans cet article, j’aimerais zoomer sur un petit détail d’une œuvre d’art : la signature. En effet, même si elle ne prend pas beaucoup de place, elle est d’une importance capitale !

Mais d’abord, faisons un rapide tour d’horizon des différentes inscriptions que porte une estampe. Regardez cette image :

Zoom sur le bas d'une estampe de Max Beckmann
Zoom sur le bas d’une estampe de Max Beckmann

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Courrier des graveurs

Un livre de Dali non référencé ?

Je vous propose un nouveau format : je publie des questions que me posent mes lecteurs (s’ils sont d’accord !). Si vous avez aussi des questions ou des demandes de conseil, n’hésitez pas à me contacter avec ce formulaire.

Martin :

Bonjour,

J’ai en ma possession une illustration “noir et blanc” tirée du in-folio de Dali du livre de Freud “Moïse et le monothéisme“. Continue reading “Courrier des graveurs”

La face gravée de… Picasso

Picasso était un véritable monstre (sacré) de l’estampe. Son œuvre gravée est, malheureusement, beaucoup moins connue que ses peintures ou dessins, et pourtant, c’est avec ces techniques qu’il a le plus innové et expérimenté.
Il lui arrivait ainsi de triturer la pierre lithographique jusqu’à obtenir un résultat qui le satisfaisait, en passant par plus de 10 états d’une même oeuvre !
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