Le papier est un support fragile, c’est sûr. Pourtant, conservées dans de bonnes conditions, les œuvres sur papier nous procureront assurément du plaisir pendant toute notre vie et celle de nos descendants ! Les deux grands ennemis du papier sont l’être humain (nous) et le papier lui-même (plus exactement, son acidité). Les autres risques peuvent être mitigés en suivant quelques règles de base.
Avant de continuer, je dois vous annoncer une fâcheuse vérité : celui qui souhaite conserver une estampe ne doit pas la montrer. En effet, comme tout support organique, à partir du moment où le papier est produit, il commence à se dégrader. Ainsi, la plus sûre manière de conserver une oeuvre sur papier est de l’archiver.
Deux camps s’affrontent donc : ceux qui exposent leurs œuvres pour en tirer du plaisir, et ceux qui les enferment pour les conserver du mieux possible.
Une solution offrant un bon compromis vient du graveur contemporain David Bull, qui incite ses clients/collectionneurs à ne pas encadrer leurs acquisitions. Selon lui, une oeuvre encadrée finit par faire partie du décor et ne vous enchantera que quelques semaines tout au plus. Il suggère donc de ranger ses estampes soigneusement et de les sortir pour les savourer au moment opportun, quand on en a vraiment envie. De cette manière, on ne s’en lasse jamais !
Passons aux choses sérieuses : les quelques règles à respecter pour conserver une estampe ainsi que les comportements à éviter.
Quelques règles de conservation
La valeur d’une estampe repose principalement sur son état de conservation. Une toile de Picasso balafrée d’un coup de cutter sera réparée, puis vendue sans problème, puisqu’elle est unique. Dans le cas des estampes, qui existent en plusieurs exemplaires, le tirage en bon état sera toujours valorisé.
Vollard et son chat, d’après Picasso, 1960, eau-forte et aquatinte sur vélin d’arches, éd. de 200. À gauche, un tirage frais, à droite, une version plus décatie, jaunie et piquée, comme le montre le détail central (Images cliquables).
Il faut d’abord connaître les ennemis du papier pour mieux les combattre. Ce sont les humains, les écarts de température, l’humidité, la lumière, les micro-organismes, la pollution et d’autres encore. À croire qu’il est vain de vouloir conserver une œuvre sur papier ! En théorie, de simples dispositions de bon sens suffisent. Tenez-vous bien, je vais les énoncer en une phrase : stockez vos œuvres à l’abri de l’humidité, dans un lieu sain, et n’y touchez plus. Cela devrait ressembler à ça :
Cela n’est pas très excitant. En pratique, nous faisons du mieux que nous pouvons. Quand vous aurez décidé d’un lieu de stockage à température stable, loin d’une source de chaleur ou d’un courant d’air auquel ni enfant, ni chien, (ni cambrioleur) n’a accès, vous aurez réglé une partie du problème. Cet environnement devrait être non urbain (c’est-à-dire non pollué), maintenu entre 15 et 18 degrés et au niveau d’humidité contrôlé (de 30 à 70%).
Vos œuvres devront être rangées en utilisant des matériaux sans acide, au pH neutre. Certains plastiques peuvent être mis au contact du papier ainsi que certains papiers d’emballage (papier de soie ou papier crystal). Cependant, il est souvent difficile de s’assurer qu’un support est sans acide. Mon conseil : si vous avez un doute, employez des feuilles à dessin portant la mention ∞ (papier permanent).
N’utilisez jamais de tube pour ranger vos œuvres mais conservez-les à plat. Si vous les empilez, insérez une feuille de papier protecteur entre chaque estampe. Une précaution supplémentaire bienvenue est d’emballer les paquets feuilles dans une pochette plastique. En cas de dégâts des eaux, vous me remercierez !
Enfin, la manipulation d’une oeuvre sur papier doit être faite avec une grande précaution. Il faut essayer de toucher au minimum la feuille avec les doigts (à cause du sébum produit par la peau) et ne jamais toucher l’image en elle-même. Vous n’êtes pas obligé de porter des gants de coton blanc (même si c’est conseillé). Pour ma part, j’insère une feuille de papier sous l’estampe, plus grande qu’elle, de manière à ne pas saisir l’œuvre. Vous pouvez aussi vous fabriquer de petites pinces en papier permanent de manière à couvrir vos vilains doigts. Pensez aussi à saisir la feuille plutôt par les coins opposés que par les bord, pour ne pas casser le papier.
Vous prendrez enfin l’expression « toucher avec les yeux » au pied de la lettre !
Si vous tenez à encadrer vos œuvres malgré tout, je vous conseille de les faire tourner régulièrement (les expositions d’estampe n’accrochent en général pas plus que quelques semaines). En plus de protéger votre collection, vous ne vous en lasserez pas. Si vous optez pour un encadrement traditionnel, il faut vous tourner vers un encadreur de confiance qui utilisera uniquement des matériaux sans acide. Il existe un dernier moyen d’exposition que j’apprécie particulièrement, dont je vous parlerai à la fin de cette article.
Évitez à tout prix…
- D’accrocher une œuvre d’art en contact direct avec la lumière du soleil, qui en fanera les couleurs à vitesse grand V. Malheureusement, les lumières artificielles ne sont pas non plus satisfaisantes. Seul un éclairage de type muséal et une exposition limitée permettent une conservation adéquate.
- D’entreposer votre collection près d’une source de chaleur comme un radiateur, une cheminée, un courant d’air ou la lumière du soleil. Le principe est d’éviter tout écart de température puisque le papier réagit comme l’éponge au contact de l’eau. Trop humide, il développe de la moisissure, trop sec, ses fibres deviennent cassantes et se rétractent.
- L’humidité. Bannissez toutes les pièces d’eau et assurez-vous que les murs à proximité de votre collection ne sont pas humides (s’ils jouxtent une pièce d’eau).
- De poser vos doigts sur l’estampe. Les moisissures adorent se repaître du sébum, la graisse émanant de vos doigts. Il s’agit donc de mettre des gants, bien que la perte de sensibilité qu’ils amènent peut dans certains cas être dangereuse. Dans le cas de livres anciens, on déconseille l’utilisation de gants au profit d’une lame pour tourner les pages délicates.
- Enfin, ne manipulez vos œuvres sur papier qu’en cas d’extrême nécessité. (Vous lever frénétiquement au milieu de la nuit pour admirer une eau-forte de Soulages en votre possession pourra être qualifié d’extrême nécessité). Trêve de plaisanterie, comme je l’ai déjà dit, nous sommes les pires ennemis du papier. La destruction des œuvres est bien plus souvent due aux humains qu’aux champignons et insectes (aussi vilains soient-ils). Les guerres, les négligences, les amis zélés ou encore les enfants sont à craindre.
Le rangement idéal
Ne cherchez pas, le rangement idéal n’existe pas. J’ai consacré un article entier à l’encadrement, mais si vous suivez mon raisonnement jusque là, vous savez qu’il n’est pas recommandé d’accrocher une oeuvre sur papier.
Rangez vos estampes dans des matériaux appropriés : papier, carton et plastique sans acide (permanent). Celles-ci sont chères et parfois difficiles à trouver. Malheureusement, c’est une dépense obligatoire pour une bonne conservation. Quelques chemises, une ou plusieurs boites d’archives, tout cela dans une étagère, cela suffit parfaitement.
Si votre collection grandit outre-mesure il faudra investir dans un meuble à plans. Les meubles étudiés pour cet usage sont robustes et possèdent de fins tiroirs. En bois, le meuble offrira une stabilisation de l’humidité malgré une acidité inhérente à ce matériau ; employez des écrans en papier permanent. Fait de métal, le meuble est chimiquement inerte mais favorise la condensation.
Pour finir, j’aimerais vous présenter une solution de rangement qui pourrait vous plaire. Il s’agit d’un petit coffre en bois plat surmonté d’un support de présentation. Celui-ci permet d’exposer alternativement vos estampes tout en faisant office d’espace de rangement. Évidemment, cette solution fonctionne pour les œuvres de petite taille et de formats similaires.
Ces deux coffrets proviennent du graveur David Bull.