Le paradis de l’amateur
Je viens de découvrir une merveille. Un paradis de la lithographie. Un joyaux pour qui s’intéresse à l’art expressionniste à Berlin, j’ai nommé la Galerie Nierendorf, spécialisée en peintures expressionnistes et surtout en estampes : des milliers de lithographies, gravures sur bois et dessins de mes peintres allemands préférés (et peut-être les vôtres). Au menu, Otto Dix, Emil Nolde, Karl Hofer et bien d’autres… Avec de véritables œuvres d’art, classées dans des boites, prouvant que l’estampe peut être aussi intense que la peinture (vous en doutiez ?).
Pousser la porte de la galerie
J’arrive à la Galerie Nierendorf sans savoir ce que je vais y trouver. J’ai compris, grâce au site-vitrine moyenâgeux de la galerie, qu’elle était spécialisée en art expressionniste. Mais j’étais loin d’imaginer les trésors qu’elle renfermait.
On y entre par deux interphones. Située dans un bâtiment de style d’une avenue riche de Berlin (Hardenbergerstr.), la galerie se compose de 4 pièces reliées entre elles comme tout appartement typiquement berlinois. Avec une belle hauteur de plafond, cela va sans dire.
Les premiers coups d’œil m’indiquent une ambiance familière : de petites pièces, plus hautes que larges, remplies de cadres (mais vraiment remplies !) J’aperçois des estampes d’Otto Müller, je crois entrevoir un Dix ou un Grosz, jusqu’à ce que la personne en charge m’alpague.
” – Je peux vous renseigner ?
– Je voudrais voir l’exposition du moment ! (qui était sur Joseph Scharl)
– Oui, c’est là (me montrant les alentours de la main). Vous avez un intérêt particulier ?
– Oui, eh bien, je… Bon, disons Otto Dix.
– Venez par ici…”
Elle m’emmène de ce qu’on appelle le “Kabinett”, petite pièce d’archives où on peut consulter à loisir les œuvres rangées dans d’épais classeurs en carton renforcé. Il faut vous imaginer une pièce plutôt petite, couverte d’estampes, avec deux gros établis en bois pour consulter ce que l’on souhaite. Et je ne me suis pas privé. Pendant deux heures, on m’a laissé à mon exploration !
Arrivé dans le Kabinett, je lève les yeux pour m’ébahir devant des lithographies couleurs de Conrad Felixmüller, Otto Dix, Chagall… (cherchez l’intru). Derrière moi, un auto-portrait d’Ernst Barlach grandeur nature. Ainsi qu’un portrait de Christian Rohlfs dans une gravure sur bois de Felixmüller.
Bigre. Je suis tombé au bon endroit.
L’émerveillement passé, je commence à m’afférer. Je consulte, j’essaye de deviner les artistes moins connus, les techniques et surtout les prix (vous me connaissez), qui commencent à 1000€ pour terminer vers 40000€ (un magnifique portrait de femme par Otto Müller). Je n’ose pas imaginer le prix des rares œuvres dont l’astérisque indique Auf anfrage (prix à la demande).
Je tombe, au hasard de l’ouverture d’un classeur contenant les estampes de l’exposition qui n’ont pas trouvé leur place sur les murs, sur plusieurs Holzschnitte (gravures sur vois) de Gerhard Marcks. Je connaissais son travail de sculpteur, mais à peine son œuvre gravée. Et quelle surprise…
Quelle finesse, quelle ambiance dans cette série de gravures. La consultation du catalogue raisonnée de l’artiste m’indique que son travail de graveur est énorme (plus de 700 gravures). Les prix commencent à 300€ pour des éditions de 50.
La visite n’est pas terminée…
Je m’attarde aussi sur un portfolio de Karl Hofer, après avoir fait de multiples allez-retour pour demander du papier, un stylo, et vous n’auriez pas le catalogue… Le (très) lourd classeur remis à plat sur son étagère, je prends conscience des dizaines d’autres qui m’entourent, chacun renfermant des estampes et dessins de Liebermann, Chagall, Miro, Mueller et tout Die Brücke. Je prends mentalement date pour revenir bientôt. Les grands absents de cette galerie sont les artistes de Der Blaue Reiter. Ainsi pas de Franz Marc, pas de Kandinsky… Tant pis !
Je me rends soudainement compte avoir passé deux heures la tête collé à de vielles lithographies. À tourner frénétiquement, ou parfois avec soin, les pages de plastique flanquées de passepartouts. À prendre mentalement note d’une date, d’un nom ou d’un prix, pour améliorer ma culture et mes facultés d’estimation (c’est un petit jeu que j’apprécie !)
Finalement, je passe la tête hors du cabinet, dans le couloir. Je comprends qu’il me reste l’exposition principale (Hauptaustellung) à parcourir, puisque le petit Kabinett dans lequel je venais de passer deux heures accueille l’exposition “parallèle”. Je passe à grande vitesse devant les toiles accrochées. Je ne suis pas friand de Joseph Scharl… et vous ?
Avant de partir, je regarde les grandes affiches, à vendre, qui ont servi à promouvoir – et qui permettent à présent de documenter – les expositions de la galerie, depuis les années 60. Belles, sobres, la plupart ne coûtent que 5€. Celle-ci coûte 60€… Tiens donc. Ah, c’est une litho originale de Dix pour l’occasion. Appréciable !
L’exposition de 1965 est une lithographie de Conrad Felixmüller, originale elle aussi. Je demande à la “personne en charge” le catalogue. Elle fouille, s’affère et finit par m’apporter un petit catalogue daté, jauni et dont les pages sont fardés de découpages. Il s’agit en fait de la maquette originale du catalogue. Tiré à 2000 exemplaires, chacun repartait, en 1965 avec une gravure originale de l’artiste.
A l’époque, on pouvait s’offrir une toile de Felixmüller au prix d’une litho actuelle. Et que la gravure que j’avais repérée, aujourd’hui à 1200€, ne coutait que 200DM – ce qui fait donc trois choses.
Finalement, une excellente visite dont je sors émerveillé. En me raccompagnant à la porte, la galeriste me salue d’un prophétique “See you soon”.
Évidemment, si vous faites du tourisme à Berlin et que vous vous intéressez à l’expressionnisme allemand, je ne peux que vous conseiller de faire un détour par cette galerie (entre le Zoo et le quartier de Charlottenburg, il y a de belles visites à faire).